Juin2024
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Conditions d’opposabilité d’un modificatif au règlement de copropriété à l’acquéreur d’un lot

Par Laurence GUÉGAN-GÉLINET                                                     

Avocat à la cour d’appel de Paris,

Spécialiste en droit immobilier

 

Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 22-17.918, D

 

Mots-clés : Copropriété  Règlement de copropriété  Modificatif  Opposabilité à l’acquéreur d’un lot de copropriété  Publication au service de publicité foncière (non)  Conditions

Textes visés : Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ‒ Article 13 – Décret n° 67-553 du 17 mars 1967 ‒ Article 4, alinéa 3

 Repères : Le Lamy Droit immobilier 2023, nos 5032 et 5107

Bien que non publié au jour de la vente, le modificatif au règlement de copropriété portant restriction à la destination d’un lot est opposable à l’acquéreur qui en a eu préalablement connaissance dans l’acte d’acquisition, quand bien même il ne l’aurait pas expressément ratifié.

 

 ANALYSE

 En 2001, une société civile immobilière (SCI) acquiert un lot à usage commercial dans un immeuble soumis au statut de la copropriété et le donne en location pour l’exercice de l’activité de « petite restauration ne nécessitant pas l’utilisation d’un conduit d’extraction extérieure, sur place et à emporter ».

En 2016, l’assemblée générale refuse la demande d’autorisation de créer un conduit d’extraction, lequel n’est pas nécessaire pour l’activité prévue à l’origine mais le devient pour une destination de restauration sans restriction.

La SCI assigne le syndicat des copropriétaires afin d’obtenir du tribunal l’autorisation d’exécuter ces travaux. Elle en est déboutée tant en première instance qu’en appel[1].

Le syndicat oppose en effet que par décision d’assemblée générale du 15 juin 2000, définitive et ayant fait l’objet d’un modificatif au règlement de copropriété publié finalement en 2019, il a été décidé que l’exercice des activités de débits de boisson, restaurants, boîtes de nuit et activités de même nature était interdit.

Au soutien de son pourvoi, la SCI conteste l’opposabilité du modificatif au règlement de copropriété non publié avant son acquisition, en l’absence de ratification expresse dans l’acte de cession.

L’article 13 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit en effet que le règlement de copropriété et les modifications qui peuvent lui être apportées ne sont opposables aux ayants cause à titre particulier des copropriétaires qu’à dater de leur publication au fichier immobilier.

Ces dispositions restrictives s’appliquent ainsi aux légataires à titre particulier, aux donataires, de même qu’aux acquéreurs.

En conséquence, le copropriétaire qui acquiert son lot postérieurement à un modificatif au règlement de copropriété non publié ne peut se voir opposer ses stipulations qu’à compter de la date à laquelle la publication sera effectuée[2].

Mais pour pallier les difficultés liées à la coexistence de clauses applicables de façons différenciées au sein d’un même règlement, lequel constitue au contraire la charte de la copropriété qui doit s’imposer à tous, l’article 4, alinéa 3, du décret du 17 mars 1967 apporte un tempérament.

Il prévoit que le règlement de copropriété, l’état descriptif de division et les actes qui les ont modifiés, même s’ils n’ont pas été publiés au fichier immobilier, s’imposent à l’acquéreur ou au titulaire du droit « s’il est expressément constaté à l’acte [constatant ou réalisant le transfert de propriété] qu’il en a eu préalablement connaissance et qu’il a adhéré aux obligations qui en résultent ».

Ainsi, en l’absence de publication, l’acte d’acquisition doit-il tout d’abord expressément constater que l’acquéreur a eu préalablement connaissance des modificatifs au règlement de copropriété et ensuite mentionner de manière tout aussi expresse qu’il a adhéré aux obligations qui en résultent.

Ces deux conditions étant cumulatives, la double mention doit figurer à l’acte pour que les modifications puissent être opposées à l’acquéreur[3].

Mais, à notre connaissance, la jurisprudence n’avait été amenée à rappeler cette exigence que dans des hypothèses où les deux conditions étaient défaillantes.

Or, l’arrêt ici rapporté se prononce dans une espèce légèrement différente puisqu’il ne pouvait être contesté que la première condition était remplie, étant clairement précisé à l’acte que l’acquéreur avait eu préalablement connaissance du modificatif restreignant la destination de son lot.

Il était stipulé en effet qu’« aux termes d’une assemblée générale en date du 15 juin 2000, les copropriétaires ont décidé à l’unanimité des présents et représentés, dont faisait partie le vendeur, d’interdire l’exploitation dans les locaux commerciaux d’activité à usage de bar, restaurants, boîtes de nuit ou toute activité de ce type ».

 De surcroît, cette clause était mise en exergue dans l’acte et intégrée dans le descriptif des lots acquis.

Mais l’acquéreur contestait formellement le respect de la deuxième condition, à savoir la ratification expresse de la modification et en conséquence l’opposabilité du modificatif interdisant l’activité de restauration.

Il prétendait que l’adhésion aux obligations résultant de l’acte modificatif du règlement de copropriété ne saurait se déduire du seul consentement donné à l’acte de cession.

Le pourvoi est rejeté.

La Cour de cassation relève que la clause modificative avait été mise en exergue par une mention en italique intégrée dans le descriptif même des lots que la SCI avait consenti à acquérir, et non dans le paragraphe « état descriptif de division-règlement de copropriété ».

Elle approuve la cour d’appel d’avoir en conséquence souverainement retenu que la SCI, qui avait signé l’acte de vente en ayant connaissance de la restriction apportée à la destination de son lot, l’avait ainsi ratifié.

Selon cette décision, les juges du fond peuvent apprécier de façon souveraine, en l’absence de ratification expresse, si en concluant néanmoins l’acte de cession, l’acquéreur a nécessairement entendu adhérer aux restrictions contenues au modificatif non publié et dont il a été pleinement informé.

A défaut de mention expresse, il appartiendrait dès lors au juge de se prononcer, au regard des mentions figurant à l’acte, sur l’acceptation ou non par l’acquéreur des conséquences des modifications dont il vient d’être informé, la ratification n’étant plus une condition de fond, mais seulement un élément de preuve auquel il peut être suppléé.

Si l’article 4, alinéa 3, du décret du 17 mars 1967, impose à l’acquéreur de déclarer accepter les conséquences des modificatifs portés à sa connaissance, c’est en effet pour s’assurer qu’il en a saisi toute la portée avant de s’engager et non pour s’autoriser à s’en dispenser.

En l’espèce, la mise en exergue, dans l’acte, de la clause interdisant l’activité de restauration, alliée à la circonstance que l’acquéreur est une SCI, c’est-à-dire un professionnel de l’immobilier qui, en cette qualité, ne peut ignorer les conséquences d’une telle restriction, ne sont pas étrangères à la solution retenue.

Du reste, une partie de la doctrine a pu, à juste titre, émettre des critiques quant à la nécessité d’une double condition en s’interrogeant sur la raison pour laquelle l’acquéreur qui reconnaîtrait être informé de l’existence de modifications non publiées pourrait néanmoins choisir d’y échapper, « se faisant ainsi un règlement de copropriété à la carte »[4].

 

TEXTE DE LA DÉCISION (EXTRAIT)

« (…) Sur le premier moyen

Énoncé du moyen

  1. La SCI fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes en autorisation de travaux, alors « que les restrictions à l’usage d’un lot apportées par un acte modificatif du règlement de copropriété ne sont opposables à l’ayant cause à titre particulier d’un copropriétaire qu’à compter de leur publication ou, lorsque l’existence de cet acte modificatif est mentionnée dans l’acte de cession, s’il est expressément constaté qu’il en a eu préalablement connaissance et qu’il a adhéré aux obligations qui en résultent ; que l’adhésion aux obligations résultant de l’acte modificatif du règlement de copropriété ne saurait se déduire du seul consentement donné par l’ayant cause à l’acte de cession lui-même, ayant rappelé cette modification ; qu’en l’espèce, l’acte de vente du 29 octobre 2001 comportait, au titre de la désignation de l’ensemble immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 4] dont dépendaient les lots n° 25 et 39 acquis par la société GS Roquette, une clause stipulant qu’« aux termes d’une assemblée générale en date du 15 juin 2000, les copropriétaires ont décidé à l’unanimité des présents et représentés, dont faisait partie le vendeur, d’interdire l’exploitation dans les locaux commerciaux d’activité à usage de bar, restaurants, boîtes de nuit ou toute activité de ce type », modificatif au règlement de copropriété qui n’avait fait l’objet d’aucune publication à la date d’acquisition par la société GS Roquette des lots susvisés ; qu’en déduisant du seul consentement donné par la société GS Roquette à l’acte de vente qu’elle avait adhéré à la restriction ainsi apportée à la destination de son lot par la décision d’assemblée générale du 15 juin 2000 ayant pour objet de modifier le règlement de copropriété, la cour d’appel a violé l’article 13 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et l’article 4 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ».

Réponse de la Cour

  1. La cour d’appel a constaté que, dans l’acte de vente, l’indication selon laquelle « par assemblée générale du 15 juin 2000, les copropriétaires avaient décidé à l’unanimité des présents et représentés, dont faisaient partie le vendeur, d’interdire l’exploitation dans les lots commerciaux d’activités à usage de bar, restaurant, boîte de nuit ou toute activité de ce type » avait été mise en exergue par une mention en italique intégrée dans le descriptif même des lots que la SCI avait consenti à acquérir, et non dans le paragraphe « état descriptif de division-règlement de copropriété ».
  2. Ayant souverainement retenu que la SCI, qui avait signé l’acte de vente en ayant connaissance de la restriction apportée à la destination de son lot, l’avait ainsi ratifié, la cour d’appel a pu en déduire que sa demande d’autorisation de travaux visant à permettre une activité de restauration interdite devait être rejetée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi (…) ».

 

Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 22-17.918, D

[1] TGI Paris, 2 oct. 2018, n° 16/14828 et CA Paris, pôle 4, ch. 2, 20 avr. 2022, n° 18/23904.

[2] Cass. 3e civ., 7 oct. 1998, n° 97-12.432, Loyers et copr. 1999, comm. n° 22.

[3] CA Paris, 19e ch., 17 mai 1991, n° 90/13116, RD imm. 1991, p. 384, note Giverdon Cl. ; CA Paris, 23e ch. A, 22 oct. 1997, n° 96/13339, Loyers et copr. 1998, comm. n° 24  ; Cass. 3e civ., 8 sept. 2009, n° 08-15.146, Administrer déc. 2009, p. 51, obs. Bouyeure J.-R. ; Cass. 3e civ., 15 déc. 2021, n° 20-23.221, Loyers et copr. 2022, comm. n° 30, note Coutant-Lapalus Chr., Administrer févr. 2022, p. 53, obs. Déchelette-Tolot P.

[4] Gil G., L’opposabilité aux tiers du règlement de copropriété et de ses modificatifs, Inf. rap. copr. oct. 2011, n° 572, p. 25.