Les charges de copropriété à l'épreuve de la loi Élan
INTRODUCTION
Aux termes d’une étude publiée le 20 février 2019 par la Direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice, portant sur la période entre 2007 et 2017, il apparaît qu’en dix ans le contentieux de la copropriété a augmenté de 24 % devant les juridictions de premier degré.
Or, l’évolution du contentieux de la copropriété est largement déterminée par les actions en paiement des charges qui ont elles-mêmes augmenté de 29 % sur cette même période.
En effet, selon cette étude, plus des deux tiers du contentieux de la copropriété sont constitués, en 2017, par des impayés de charges.
Les actions en paiement sont très concentrées géographiquement ; près des deux-tiers des demandes concernent les tribunaux de deux régions, à savoir la région Ile de France et la région Provence Alpes Côte d’Azur.
Il en est de même des demandes de désignation d’un administrateur provisoire de copropriétés puisque quatorze tribunaux de grande instance ont reçu les trois quarts des demandes, avec en tête celui de Bobigny, suivi par ceux de Nanterre et de Fort-de-France.
Ces statistiques, pour intéressantes qu’elles soient, s’arrêtent dès lors que la décision de justice est obtenue.
L’étude du ministère de la justice ne comprend pas les modalités d’exécution des décisions de condamnation.
Pour autant, en matière de charges, le syndicat des copropriétaires, bénéficie d’un privilège immobilier spécial pourtant sur le lot, ainsi que de mécanismes lui permettant de recouvrer sa créance plus facilement que dans d’autres domaines.
Il est donc rare que le syndicat des copropriétaires se trouve face à un débiteur insolvable, même si cela peut bien évidemment se produire notamment en cas de faillite du copropriétaire lorsqu’une procédure collective est ouverte.
De plus, depuis l’intervention des lois ALUR et ÉLAN, certains dispositifs ont été récemment améliorés.
Il en est ainsi de l’opposition du syndic lors de la vente du lot, en application de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1965, lequel a été simplifié par la loi ALUR du 24 mars 2014.
D’autres dispositions de cette même loi ont également élargi, depuis le 1er janvier 2017, le domaine des créances garanties par le privilège immobilier spécial de l’article 2374 de Code civil en l’étendant notamment aux dommages et intérêts alloués par les juridictions.
De même, la loi ELAN du 23 novembre 2018 a rendu tout son intérêt à la procédure de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965.
Nous évoquerons donc la réforme, par la loi ÉLAN, de la procédure de recouvrement de charges de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 (1) ainsi que la réforme, par la loi ALUR, du privilège immobilier spécial du syndicat des copropriétaires, de même que de l’opposition de l’article 20 (2).
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1 – LA REFORME DE LA PROCEDURE DE RECOUVREMENT DES CHARGES DE L’ARTICLE 19-2 DE LA LOI DU 10 JUILLET 1965
1.1. Procédure spécifique mise en place par la loi SRU n° 2000-1208 du 13 décembre 2000
Prévue par l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 et donnant exclusivement compétence au président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé, cette action n’a finalement pas eu la faveur escomptée, compte tenu des inconvénients majeurs qu’elle présentait.
Celle-ci permettait en effet d’obtenir l’exigibilité immédiate des provisions non échues du budget provisionnel, à défaut de règlement d’une provision à sa date d’exigibilité après une mise en demeure infructueuse.
Mais elle excluait toute possibilité de solliciter la condamnation au paiement des charges antérieures arriérées et pour lesquelles il était donc nécessaire, le cas échéant, d’engager une procédure distincte devant une autre juridiction.
De surcroît, les provisions pour travaux votés de l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965 n’étaient pas concernées.
1.2. Réforme de la procédure de recouvrement de charges par la loi Élan n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 visant à remédier à ces inconvénients
La loi Élan permet désormais que la provision pour travaux de l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965 précitée, qui ne serait pas versée à sa date d’exigibilité, suive le même régime que les provisions exigibles du budget de l’article 14-1 de la même loi.
Ainsi, l’expiration du délai de trente jours après une mise en demeure restée vaine, entraîne leur exigibilité immédiate.
Il en est de même « des sommes restant dues », appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes.
Le vocable utilisé semble pouvoir inclure des sommes autres que des charges de copropriété au sens strict, du moment qu’elles figurent dans les comptes approuvés.
Il résulte de ces dispositions que le contentieux du paiement des charges de copropriété risque de se déplacer, selon le montant des charges arriérées, du tribunal d’instance ou du tribunal de grande instance statuant au fond, vers le président du tribunal de grande instance, statuant comme en matière de référé.
En effet, l’ordonnance rendue comme en matière de référé est revêtue de l’autorité de la chose jugée, ce qui permet, en particulier, son exécution forcée, notamment par la voie de la saisie immobilière du lot concerné.
2) LE PRIVILEGE IMMOBILIER SPECIAL DU SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES
2.1 – CREANCES GARANTIES PAR LE PRIVILEGE IMMOBILIER SPECIAL
Face à l’insuffisance de garanties pour le syndicat des copropriétaires dont la créance était le plus souvent primée lors de la vente du lot, son hypothèque légale ayant, par hypothèse, été inscrite après celle de l’organisme bancaire ayant accordé le prêt nécessaire à l’acquisition, une loi du 21 juillet 1994 a créé le privilège immobilier spécial au bénéfice du syndicat.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 1994 créant le privilège immobilier spécial, le syndicat est préféré au vendeur et au prêteur de deniers (c’est-à-dire le banquier) pour les créances afférentes aux charges et aux travaux mentionnés aux articles 10 et 30 de la loi du 10 juillet 1965 concernant l’année en cours lors de la vente et les deux dernières années échues précédent la vente.
On parle, de façon cependant impropre, de « super privilège ».
Pour les créances concernant les deux années antérieures, le privilège est d’un rang moins élevé puisque le syndicat des copropriétaires vient en concours avec le vendeur et le prêteur de deniers.
La loi ALUR du 24 mars 2014 a étendu les créances garanties à effet à compter du 1er janvier 2017.
2.1.1. CREANCES GARANTIES A L’ORIGINE :
En vertu de l’article 19-1 de la loi précitée dans sa version antérieure à la loi ALUR, toutes les créances du syndicat n’étaient pas garanties par le privilège immobilier spécial, mais seulement celles correspondant aux charges visées à l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 et aux travaux de l’article 30 de la même loi.
1) Charges de l’article 10 de la loi
En conséquence, sont garanties les charges de copropriété proprement dites, lesquelles englobent tous les frais entraînés par la gestion courante de l’immeuble, c’est-à-dire les charges concernant la conservation, l’entretien et l’administration des parties communes, de même que les dépenses afférentes au fonctionnement des services et éléments d’équipement communs.
2) Travaux de l’article 30 de la loi
Sont compris également les travaux d’amélioration définis par l’article 30 de la loi du 10 juillet 1965.
S’agissant des travaux d’amélioration visés par l’article 30 de la loi, le texte de l’article 30 précité n’en donne pas de définition légale et se contente de citer divers exemples en mentionnant la transformation d’un ou plusieurs éléments d’équipements existants, l’adjonction d’éléments nouveaux, l’aménagement ou la création de locaux affectés à l’usage commun.
L’article 30 ne donne donc pas de liste exhaustive des travaux d’amélioration.
Il en résulte, en conséquence, que tous les travaux effectués par le syndicat des copropriétaires sont garantis par le privilège immobilier spécial, soit qu’ils constituent des travaux d’amélioration visés ou non à l’article 30 précité puisque la liste n’en est pas limitative, soit qu’ils constituent des travaux d’entretien lesquels sont alors des travaux visés à l’article 10 de la loi et garantis comme tels par le privilège immobilier spécial du syndicat.
2.1.2. CREANCES ETENDUES DEPUIS LE 1ER JANVIER 2017 :
1) Nouvelles créances garanties par le privilège immobilier spécial :
La loi ALUR a procédé à une extension des créances garanties par le privilège immobilier spécial du syndicat des copropriétaires.
Cette extension est entrée en vigueur le 1er janvier 2017.
L’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965 est complété.
Depuis cette date, le privilège immobilier spécial prévu à l’article 2374 1° bis du Code civil, ne garantit plus seulement l’obligation de participer aux charges et aux travaux mentionnés aux articles 10 et 30 de la loi du 10 juillet 1965 comme auparavant.
Ainsi, sont également garanties les créances du syndicat des copropriétaires nouvellement créées par la loi ALUR notamment le fonds de travaux ainsi que les dommages et intérêts et frais de justice.
a) Fonds de travaux
Tout d’abord, seront désormais garanties les cotisations au fonds de travaux.
Le fonds de travaux est en effet une création de la loi ALUR lequel n’est lui-même entré en vigueur que depuis le 1er janvier 2017.
Il est alimenté par une cotisation annuelle obligatoirement versée par les copropriétaires selon les mêmes modalités que celles décidées par l’assemblée générale pour le versement des provisions du budget prévisionnel.
Son montant ne peut être inférieur à 5 % du budget.
Il était donc logique que le privilège immobilier spécial fût étendu aux cotisations au fonds de travaux.
b) Travaux de l’article 24c) de la loi du 10 juillet 1965
Le privilège immobilier spécial est également étendu aux créances afférentes aux travaux de restauration immobilière réalisés aux frais d’un copropriétaire par le syndicat en qualité de maître d’ouvrage et portant sur les parties privatives des lots de copropriété.
Ces travaux sont effectués dans le cadre des dispositions de l’article L 313-4-2 du Code de l’urbanisme modifié par la loi ALUR constituant des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles.
c) Dommages et intérêts et dépens
Enfin, le privilège immobilier spécial s’étend également désormais aux dommages et intérêts alloués au syndicat des copropriétaires par les juridictions ainsi qu’au remboursement des dépens.
2.1.3. CREANCES EXCLUES DU BENEFICE DU PRIVILEGE IMMOBILIER SPECIAL :
Ainsi, le privilège immobilier spécial englobe-t-il, outre les nouvelles obligations créées depuis lors par la loi ALUR, certains accessoires de la créance du syndicat des copropriétaires qui étaient exclus jusqu’à présent par la jurisprudence.
Cette extension des créances garanties est donc à la fois nécessitée par les créations nouvelles de la loi ALUR (fonds de travaux et travaux effectués par le syndicat sur parties privatives) et les demandes des praticiens quant aux sommes allouées par les juridictions (dommages et intérêts et dépens) sans cependant aller au-delà.
Les créances autres que celles visées par l’article 19-1 de la loi sont donc exclues du bénéfice du privilège immobilier spécial.
Cette exclusion résulte du caractère exceptionnel du privilège conduisant à une interprétation stricte des textes applicables.
Ainsi, le privilège immobilier spécial du syndicat est-il limité aux seules créances expressément indiquées et ne s’étend pas, par exemple, aux dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, c’est-à-dire au remboursement d’une partie des honoraires d’avocat lesquels ne sont pas compris dans les dépens.
Par conséquent, les créances garanties par le privilège immobilier spécial du syndicat sont beaucoup plus restreintes que celles garanties par le privilège mobilier et l’hypothèque légale, lesquelles, en vertu de l’article 19 de la loi du 10 juillet 1965, s’appliquent aux créances « de toute nature du syndicat à l’encontre de chaque copropriétaire ».
Ainsi, la Cour de cassation exclut-elle la quote-part de remboursement anticipé d’un emprunt contracté par le Syndicat des copropriétaires pour effectuer des travaux de ravalement.
S’agissant des intérêts de retard, la question n’est pas tranchée : ceux-ci étaient avant le 1er janvier 2017, exclus du bénéfice du privilège immobilier spécial.
Peuvent-ils en bénéficier désormais au titre des dommages et intérêts alloués par les juridictions ? Il conviendrait de les admettre dans la mesure où les intérêts de retard ont pour objet de compenser le préjudice causé par le retard de paiement.
Pour mémoire, et en vertu de l’article 36 du décret du 17 mars 1967, les sommes dues au syndicat des copropriétaires portent intérêt au taux légal, toute stipulation contraire du règlement de copropriété étant, selon la jurisprudence, réputé non écrite .
Enfin, et dans la mesure où l’article 19-1 de la loi ne vise que « les dommages et intérêts alloués par les juridictions » on peut considérer que la jurisprudence continuera d’exclure certains accessoires des charges de copropriété : ainsi en avait-il été des frais de recouvrement, des indemnités diverses dues au titre de clauses pénales ou de clauses d’aggravation des charges.
S’agissant des clauses pénales en matière de charges, on rappellera qu’en vertu d’une jurisprudence constante celles-ci sont réputées non écrites comme contraires aux dispositions de l’article 36 du décret limitant leur montant au taux de l’intérêt légal.
Quant à la clause d’aggravation des charges qui, en la matière, prévoient généralement de mettre à la charge du copropriétaire débiteur la totalité des frais exposés par le syndicat, celles-ci sont dépourvues d’efficacité puisqu’elles se heurtent aux dispositions d’ordre public de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965qui limitent cette possibilité aux seules hypothèses visées par cet article à savoir « les frais nécessaires exposés par le syndicat(…) pour le recouvrement d’une créance justifiée à l’encontre d’un copropriétaire.»
Bien que la liste de l’article 10-1 de la loi ne soit pas limitative puisqu’il est indiqué « notamment les frais de mise en demeure, de relance et de prise d’hypothèque (…) ainsi que les droits et émoluments des actes des huissiers de justice et le droit de recouvrement et d’encaissement à la charge du débiteur » il apparait que la jurisprudence se limite aux exemples cités par cet article, d’autant que la Cour de cassation ne contrôle pas le caractère nécessaire ou non des frais exposés, les juges du fond l’appréciant souverainement.
En conséquence, les créances exclues du bénéfice du privilège immobilier spécial seront garanties par l’hypothèque légale si celle-ci a été inscrite ou par le privilège mobilier, à savoir le privilège du bailleur de l’article 2332-1° du Code civil.
2.1.4. MODIFICATION DE L’OPPOSITION DE L’ARTICLE 20 DE LA LOI DU 10 JUILLET 1965 :
L’article 20 de la loi du 10 juillet 1965 précise que le notaire libère les fonds dès l’accord entre le syndic et le vendeur sur les sommes restant dues, ce qui est conforme à la pratique antérieure.
Cependant, il est indiqué désormais qu’à défaut d’accord, dans un délai de trois mois après la constitution par le syndic de l’opposition régulière, le notaire verse les sommes retenues au syndicat, sauf contestation de l’opposition devant les tribunaux par une des parties.
La procédure de l’opposition de l’article 20 est donc aujourd’hui inversée puisqu’il n’appartient plus, comme auparavant, au syndicat des copropriétaires de justifier d’un titre pour obtenir le déblocage des fonds, mais au contraire au copropriétaire débiteur de contester l’opposition devant les tribunaux, dans le délai de trois mois de l’opposition régulièrement formée par le syndic.
A défaut de contestation dans le délai de trois mois, le notaire verse les sommes retenues au syndicat des copropriétaires.
La jurisprudence admet depuis longtemps que l’opposition effectuée en vertu de l’article 20 puisse également porter sur des créances du syndicat des copropriétaires afférentes à des lots non vendus si le débiteur n’a vendu qu’une partie de ses lots.
Cependant, dans cette hypothèse, l’opposition sur les lots non concernés par la mutation n’emporte pas mise en œuvre du privilège immobilier spécial du syndicat.
En effet, aux termes de l’article 2374-1° bis du Code civil, le privilège immobilier spécial du syndicat des copropriétaires ne s’exerce que sur le lot vendu.
2.1.5. REGULARITE DE L’OPPOSITION ET RESPECT DU FORMALISME DE MISE EN ŒUVRE DU PRIVILEGE IMMOBILIER SPECIAL
1) Conditions de mise en œuvre du privilège immobilier spécial : régularité de l’opposition elle-même
Aux termes de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1965, l’opposition régulière vaut, au profit du syndicat des copropriétaires, mise en œuvre du privilège immobilier spécial mentionné à l’article 19-1 de la loi précitée.
Il en résulte qu’une opposition irrégulière n’opèrerait pas la mise en œuvre du privilège immobilier spécial.
Ainsi, une opposition inopérante qui serait, par exemple, effectuée en dehors des formes obligatoires requises, à savoir par exploit d’huissier, ou en dehors du délai de quinze jours imparti au syndic pour effectuer son opposition à compter de la réception de l’avis de mutation, empêcherait toute mise en œuvre du privilège immobilier spécial.
Il en serait ainsi également si l’opposition n’annonçait pas ou n’annoncerait qu’insuffisamment le montant et les causes de la créance lesquels sont requis, à peine de nullité, par l’article 20 précité.
Cependant, le respect du seul formalisme de l’opposition de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1965 n’est pas suffisant.
Encore faut-il, en effet, que soit respecté, de surcroît, le formalisme spécifique attaché à la mise en œuvre du privilège immobilier spécial.
2) Formalisme de mise en œuvre spécifique au privilège immobilier spécial
L’article 5-1 du décret du 17 mars 1967, pris en application de l’article 20 précité, dispose en effet que l’opposition doit énoncer très précisément :
1) le montant et les causes des créances afférents aux charges et travaux mentionnés aux articles 10 et 30 de la loi du 10 juillet 1965 en distinguant celles de l’année courante et des deux dernières années échues,
2) le montant et les causes des créances afférents aux charges et travaux mentionnés aux articles 10 et 30 de la loi du 10 juillet 1965 des deux années antérieures aux deux dernières années échues,
3) les montants et causes des créances de toute nature garanties par l’hypothèque légale,
4) et, en dernier lieu, le montant et les causes de toute nature autres que les précédentes.
Les quatre types de créances doivent en effet être distingués afin que le destinataire soit en mesure de vérifier les différents types de privilèges ou de sûretés dont la créance du syndicat est assortie.
La Cour de cassation distingue la régularité de l’opposition et la validité de la mise en œuvre du privilège.
C’est ainsi que, selon la Haute juridiction, le non-respect des conditions de forme énoncées par l’article 5-1 du décret du 17 mars 1967 ne constitue pas une cause de nullité de l’opposition mais empêche seulement la mise en œuvre du privilège immobilier spécial du syndicat.
La Cour de cassation décide en effet que la distinction entre les quatre types de créances prévues à l’article 5-1 du décret du 17 mars 1967, constitue une condition de forme déterminant le caractère de celles bénéficiant de l’article 2374 du Code civil et qu’à défaut de respect des conditions de forme, « les créances concernées ne cessent pas d’exister mais perdent seulement leur caractère de créance occulte privilégiée ou « super privilégiée » et peuvent constituer des créances hypothécaires ou chirographaires ».
On notera cependant que l’indication selon laquelle à défaut de bénéficier de l’hypothèque légale, la créance du syndicat ne bénéficiant plus du privilège immobilier spécial deviendrait une créance chirographaire, est a priori erronée.
En effet, la créance du syndicat des copropriétaires n’est jamais chirographaire puisqu’à défaut de bénéficier du privilège immobilier spécial, elle bénéficie toujours du privilège du bailleur d’immeuble prévu par l’article 2332-1° du Code civil, en application de l’article 19 de la loi du 10 juillet 1965, même si le rang de ce dernier privilège, mal placé, est finalement très proche d’une créance chirographaire.
3) Vente du bien dans le cadre d’une saisie-immobilière
Lorsque la vente du lot de copropriété est réalisée dans le cadre d’une saisie-immobilière et que celle-ci intervient en dehors de toute procédure collective, le privilège immobilier spécial du syndicat joue pleinement son rôle.
C’est cependant à condition que la vente intervienne rapidement.
En effet, à mesure que le temps passe, les dettes les plus anciennes viennent en concours avec le vendeur et le prêteur de deniers, voire ne bénéficient plus du privilège immobilier spécial.
A défaut d’opposition régulièrement effectuée dans ce délai et dans les formes prescrites pour la mise en œuvre du privilège immobilier spécial, le syndicat des copropriétaires pourrait se voir privé du paiement de sa créance.
Ainsi, la jurisprudence décide-t-elle que lorsque le décompte annexé par le syndicat des copropriétaires à son opposition n’énonce pas le montant et les causes de la créance selon les prescriptions précises de l’article 5-1 du décret du 17 mars 1967 et comporte, pêle-mêle, des frais de mutation, des frais d’huissier et de relance, des provisions et des remboursements de provisions, il s’ensuit que le syndicat des copropriétaires n’ayant pas mis en œuvre le privilège de l’article 2374-1 du Code civil, le syndicat des copropriétaires n’est pas admis à participer à la distribution du prix de vente.
De même, lorsque la mutation porte sur plusieurs lots, la Cour de cassation exige le détail des sommes exigibles se rapportant à chacun des lots, selon leur nature et leur rang, ce qui constitue un casse-tête pour le syndic dont la comptabilité ne distingue généralement pas entre les différents lots, surtout lorsqu’il s’agit de lots accessoires comme des caves ou garage.
A défaut, le privilège ne serait pas valablement mis en œuvre.
Il en est de même en cas de procédure collective du débiteur, même si les règles se superposant, le sort de la créance du syndicat des copropriétaires dépend, en grande partie, de sa date de naissance.
CONCLUSION
La loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019, publiée au Journal Officiel le 23 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, habilite le gouvernement, aux termes de son article 60, à réformer le droit des suretés par voie d’ordonnance dans un délai de 24 mois à compter de la publication de la loi au Journal Officiel.
Son objectif est de clarifier et d’améliorer la lisibilité du droit des suretés et de renforcer son efficacité.
Le projet de réforme s’inspire des travaux doctrinaux formulés par l’association Henri Capitant présidé par le professeur Michel Grimaldi.
Outre une modernisation du régime du cautionnement, les propositions formulées par ce groupe de travail, aux termes de son avant-projet de réforme du droit des suretés, comportent la suppression des privilèges immobiliers spéciaux, au nombre desquels figure le privilège immobilier spécial du syndicat des copropriétaires.
Ces privilèges immobiliers spéciaux seraient remplacés par des hypothèques légales spéciales.
Celles-ci prendraient rang au jour de leur inscription.
Une dérogation est cependant prévue s’agissant de l’hypothèque légale spéciale du syndicat qui resterait occulte, pour des raisons, nous dit le rapport de l’association Henri Capitant « que l’on dit d’impérieuse opportunité ».
A suivre donc…