
Newsletter BUILD - Juin 2024
ÉDITO
La stabilité, pour quoi faire ?
Après la dissolution de l’Assemblée nationale plus tôt dans ce mois, l’idée d’une « bordélisation » (G. Darmanin) du pays fait son chemin dans l’opinion. D’aucuns pensent que la France est en passe d’entrer dans une ère d’instabilité sans précédent. Les marchés financiers sont d’ailleurs en émoi. Le Président avait-il raison, avait-il tort ? Nous ne sommes pas chroniqueurs politiques et laissons cela aux plateaux de télé. Nous pouvons seulement nous contenter d’engager une modeste réflexion sur la stabilité, notion centrale de notre profession et de notre contentieux, et remarquer que, comme le notait Rawls, théoricien éminent de la Justice, « quand les institutions sont justes ceux qui participent à cette organisation acquièrent le sens de la justice correspondant, ainsi que le désir de participer à la défense de ces institutions ». Tâchons donc de croire en la force de nos institutions et de la démocratie, condition sine qua non à leur stabilité. Dès lors, après avoir parlé du mouvement dans notre dernière newsletter, celle-ci revient sur l’idée antique de la stabilité.
L'IMPROMPTU
Mais qu’est-ce qu’on entend par stabilité ? Par définition, elle est la tendance d’un système à demeurer dans un état d’équilibre. Cette situation d’équilibre, on l’imagine, doit en outre permettre d’apporter du bien-être à tout individu puisqu’il est constant que l’instabilité est indissociable de l’insécurité. Comment donc faire valoir cette stabilité ? Revenons-en à Rawls. Dans ses Lectures on the History of Political Philosophy, il recense deux grandes conceptions dans l’histoire de la philosophie politique pour atteindre l’équilibre dans une communauté politique, et donc a fortiori en société. On peut soit procéder par la violence, soit par l’adhésion. La première vision est celle de Hobbes ; marqué par les guerres civiles de l’Angleterre du XVIIe siècle, celui-ci défend l’octroi d’un pouvoir sans limite à l’autorité étatique (le fameux « Léviathan »). Quiconque ne respecte pas la volonté du souverain trouve donc à voir son intégrité menacée. Mort de l’Etat de droit, mais sécurité donc. La deuxième vision est celle de Rousseau. Elle souhaite susciter l’adhésion des citoyens au régime républicain (par définition, de la chose publique) par l’établissement d’un régime juste. Seule condition : la démocratie, permettant au peuple de voter la loi « expression de la volonté générale », et corrigeant ainsi les vices crées par la société chez l’homme. Aussi, face à ces deux antagonismes majeurs, difficile de choisir entre la voie autoritaire, et la voie peut-être un brin trop utopique de Rousseau qui base sa réflexion sur un homme originellement pur de tous défauts.
La clé réside peut-être dans la non-moins utopique valorisation du débat, seule qualité susceptible de résoudre les différends. Problème : la brutalisation des discussions à l’œuvre dans nos sociétés rend aujourd’hui l’échange ardu, car chaque camp est retranché. Il devient certes inconcevable d’accéder à ce qu’Habermas appelle la démocratie délibérative, système dans lequel l’acceptation des opinions de chacun et la résolution des problèmes par la délibération de voix égales sont de mise. Une solution pour accéder à ce système consisterait à revaloriser la politesse française, trésor inestimable et autrefois reconnu de la France, aujourd’hui en voie de disparition mais qui permettait à des personnes aux opinions différentes de débattre avec virtuosité et respect. Ainsi, l’existence et le partage de cet ethos, c’est-à-dire de manières d’être et de vivre communes, semblent être une des solutions les plus urgentes pour répondre à la conflictualité et à l’instabilité de nos sociétés.
Vous vous demanderez pourquoi nous nous sommes attardés sur la question de la stabilité politique dans les termes qui sont les nôtres ; c’est-à-dire ni ceux de philosophes, ni ceux de responsables publiques, ni ceux de professeurs, mais bien en praticiens du droit. La réponse est évidente : c’est sur elle que se fonde (entre autres) la stabilité du droit de propriété. Et donc la stabilité de disposer d’un logement sécurisé, conforme aux besoins, exempt de tout défaut, et abordable. C’est, au fond, l’origine, la structure, le pilier sur lequel se fonde notre contentieux, en matière d’immobilier. Avoir une vision globale et pluridisciplinaire pour mieux appréhender vos dossiers..
UNE ACTUALITÉ
Pas de responsabilité sans préjudice !
Aux termes de deux arrêts récents du 27 juin 2024, rendus en matière de bail commercial, la Cour de Cassation applique ce principe d’une grande pureté et rappelle ce classique.
Un peu de stabilité ne saurait nuire…
La chambre suprême rappelle, aux visas des articles 1147 et 1149 du code civil, et de l’article 1732 du code civil qu’il résulte de la combinaison de ces textes que :
– le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur.
– ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif de dépenses.
– tenu d’évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu’elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
Dans les deux espèces, le preneur commercial avait délivré son congé et les locaux nécessitaient divers travaux de remise en état.
⇒ Dans la première espèce, le bien avait été reloué sans qu’aucun travaux de remise en état ne soient réalisés par le bailleur commercial.
La Cour d’appel avait néanmoins considéré que le fait que le bailleur ait pu relouer le local et ne justifiait pas avoir effectivement engagé des dépenses, était sans incidence sur la responsabilité du preneur à bail commercial, qui devait payer le coût de travaux de remise en état.
La Cour de Cassation sanctionne cette appréciation en rappelant que la responsabilité du preneur à bail commercial était subordonnée à la démonstration qu’un préjudice en était résulté pour le bailleur commercial :
« En statuant ainsi, au seul motif de l’inexécution des réparations par la locataire, sans constater qu’un préjudice pour la bailleresse était résulté de la faute contractuelle de la locataire, la cour d’appel a violé les textes et principe susvisés. »
Cass, 3è civ., 27 juin 2024, n°22-24.502
⇒ Dans la seconde espèce, le bailleur avait vendu les locaux loués trois mois après leur restitution sans effectuer de travaux et ne prouvait pas une dépréciation du prix des locaux à la revente en lien avec les manquements du locataire.
La Cour de Cassation confirme l’absence de responsabilité du locataire commercial :
« Après avoir, d’une part, rappelé à bon droit qu’il appartenait à la bailleresse de rapporter la preuve d’un préjudice, d’autre part, constaté qu’elle avait vendu les locaux loués trois mois après leur restitution sans effectuer de travaux et qu’elle ne prouvait pas une dépréciation du prix des locaux à la revente en lien avec les manquements du locataire, la cour d’appel en a souverainement déduit que la bailleresse n’apportait pas la preuve du préjudice allégué, de sorte que sa demande devait être rejetée ».
Cass, 3è civ., 27 juin 2024, n°22-10.298
UNE IMAGE
Le temple d’Héphaïstos à Athènes situé sur l’antique Agora. Bâtiment à l’origine certes religieux, mais construit sous les mandats de Périclès pour témoigner de la réussite du modèle d’organisation athénien durant ce que les historiens ont appelé l’âge d’or de la démocratie athénienne. Édifice qui a environ 2500 ans. Et qui illustre donc bien l’idée de stabilité.
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